Énergies renouvelables : « La Nouvelle-Calédonie doit être un joyau dans le Pacifique »
5 juin 2020par Agence Calédonienne de l'Énergie
Au titre de ses fonctions de membre du gouvernement en charge de l’énergie, Christopher Gygès préside l’Agence Calédonienne de l’Énergie. La Nouvelle-Calédonie est engagée dans une véritable révolution énergétique et c’est l’ACE qui a la responsabilité de la mettre en œuvre. Dans ce cadre, Christopher Gygès précise quels sont aujourd’hui les objectifs et les enjeux pour la Nouvelle-Calédonie.
En 2016, la Nouvelle-Calédonie a adopté le STENC, Schéma de transition énergétique. Des objectifs avaient été fixés de réduction de la consommation, de réduction des gaz à effet de serre et surtout de recours de plus en plus important en matière d’énergie renouvelable. Concernant ce dernier point, où en sommes-nous de ces objectifs ?
- Christopher Gygès : Très clairement, nous sommes en avance. Le développement des énergies renouvelables est un sujet qui a fait très largement consensus et quand l’Avenir en confiance est arrivé aux affaires il y a un peu plus d’un an, nous avons voulu accélérer les choses. Nous étions sur une prévision de 100 % d’énergies renouvelables, les EnR, à l’horizon 2030, mais nous le serons sans doute en 2023 ! Nous avons donc été plus vite que prévu en ce qui concerne la distribution publique. Mais le véritable enjeu est d’aller sur le secteur minier qui représente 75 % du mix énergétique global en Nouvelle-Calédonie.
En effet, les projets ambitieux se sont développés extrêmement rapidement, selon vous qu’est-ce qui explique que finalement on soit autant en avance sur le programme ?
- C. G. : La révolution technologique a fait qu’au-delà du seul caractère écologique, les énergies renouvelables sont désormais rentables. Lorsque j’étais collaborateur de Sonia Backès au gouvernement en 2013, le kilowatt/heure était vendu 21 francs, il est aujourd’hui entre 4 et 5 francs. Ce qui fait également avancer les choses, c’est d’avoir, comme nous l’avons, une vraie volonté politique.
Pensez-vous que la politique de l’énergie dont vous avez la charge a suscité une prise de conscience des politiques bien sûr et de l’administration mais aussi et surtout de l’opinion publique ?
- C. G. : Il y a deux aspects. Les Calédoniens ont parfaitement saisi tout ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, et les acteurs se sont développés sur cette partie-là. En revanche, il y a peut-être une insuffisance de prise de conscience pour ce qui est de la maîtrise de l’énergie. C’est d’ailleurs l’un des principaux objectifs que j’ai assignés, pour 2020 et 2021, à l’Agence Calédonienne de l’Énergie : nous devons permettre aux foyers calédoniens de réduire leur facture énergétique en consommant mieux.
En même temps que l’accroissement de la production d’énergie renouvelable, a-t-on noté une réduction de nos importations des énergies fossiles ?
- C. G. : Actuellement, ce n’est pas encore extrêmement visible, en raison de la situation énergétique du secteur du nickel. Néanmoins, le fait de mettre en place un programme de développement extrêmement volontariste des énergies renouvelables va nous permettre de réduire ces importations, y compris en interne. Ce que je veux dire, c’est que prioritairement nous avons œuvré à mettre en place très rapidement le 100 % d’énergies renouvelables aux Loyauté et à l’île des Pins, en raison notamment du coût et de la dangerosité du transport de gasoil sur les îles. On sera à 100 % d’énergies renouvelables à Lifou à la fin de cette année, ce qui va très clairement réduire le transfert des énergies fossiles.
Les statuts du STENC prévoient qu’il soit actualisé tous les cinq ans, travaillez-vous déjà sur cette actualisation et, si oui, dans quel sens ?
- C. G. : Très clairement et d’abord en revoyant les objectifs du Schéma, puisque nous serons sur les 100 % d’EnR avec sept ans d’avance sur la programmation sur la partie distribution publique. Mais surtout, je veux que l’on inscrive la partie programmation pluriannuelle pour le secteur minier parce que c’est là que se situe l’enjeu du développement des énergies renouvelables.
Quel regard portent les grands groupes français et internationaux sur la politique énergétique de la Nouvelle-Calédonie ?
- C. G. : J’ai eu l’occasion d’en rencontrer certains en métropole à la fin 2019 et, début mars, je me suis entretenu avec Queensland Energy et d’autres sociétés australiennes, et le fait d’avoir une politique énergétique aussi volontariste, et nous sommes en la matière le premier territoire outre-mer et très bien placé dans le Pacifique, font que ces groupes voient en nous un vrai potentiel de développement. Un potentiel qui fait travailler les PME/TPE calédoniennes, car notre priorité est de faire venir les investisseurs qui ont les moyens de porter des projets à plusieurs milliards et de faire bénéficier les sociétés locales de ce développement.
D’ailleurs, c’est un secteur qui met en avant la recherche et l’innovation et à l’évidence cela s’applique aussi aux sociétés locales.
- C. G. : En effet, et en ce sens, le projet Lifou est unique au monde. Les îles avec un 100 % énergies renouvelables, un dispositif de stockage et de « smart grid » qui permettent de compenser entre plusieurs EnR, c’est totalement innovant au monde et ce sera très certainement exporté par Engie à l’international. Nous avons la volonté d’innover. Nous avons lancé un appel à projet innovant avec 5 mégawatts pour un projet de toiture avec recharge batterie pour les voitures électriques à l’aéroport de Tontouta. Nous avons également lancé un projet visant à rendre rentable la biomasse avec du photovoltaïque, plus le projet d’agri-énergie de ferme solaire à Farino. Tout cela montre que la Nouvelle-Calédonie est à la pointe en matière d’EnR et d’innovation.
Dans ses objectifs, le STENC prévoyait à l’horizon 2030 une réduction de 20 % de la consommation avec la mine et la métallurgie, et voilà que, pour la SLN, on parle d’une centrale électrique alimentée par l’énergie durable. Les Calédoniens se demandent si c’est vraiment possible, que leur répondez-vous ?
- C. G. : À l’heure actuelle, il n’est pas encore possible que la centrale électrique de Doniambo fonctionne avec seulement des énergies renouvelables. La SLN a besoin d’une sécurité thermique, mais est-ce que cela implique la construction d’une nouvelle centrale thermique, à titre personnel, je n’en suis pas sûr. À mon sens, ça serait une erreur historique pour la Nouvelle-Calédonie de ne bâtir qu’un projet thermique. Le nickel calédonien doit se verdir et ce verdissement constituera un vrai avantage comparatif sur le marché international. Si 100 % de la centrale SLN ne peuvent être en EnR, on souhaite cependant qu’une grande partie le soit. Ça ne sera pas d’un coup et ce serait une erreur que d’affirmer à l’instant T que l’on va construire une centrale 100 % EnR. Avec Nouvelle-Calédonie Énergie (NCE), nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt pour voir si un groupe privé peut réaliser ce mix énergétique. Si ça n’est pas encore rentable, nous allons proposer un plan sur 10 ans pour, année après année, introduire une part toujours plus importante d’énergies renouvelables. Techniquement aujourd’hui, une centrale électrique à 100 % de renouvelables, ce n’est pas possible, mais dans 5 ou 10 ans ?
KNS et Vale s’intéressent-ils eux aussi à cette possibilité de fonctionner aux énergies renouvelables ?
- C. G. : Nous avons cette volonté. Et nous ferons cette proposition de nickel vert aux acteurs du secteur minier. Pourquoi pas un label « Mines responsables » en lien avec les provinces ? Vale se montre intéressé par la démarche, l’industriel avait déjà lancé un appel à projets de 30 mégawatts. Tout ceci doit être piloté par la Nouvelle-Calédonie, mais je ne vois pas comment ni pourquoi les industriels pourraient ne pas être intéressés par le fait de pouvoir faire baisser de manière extrêmement sensible le coût de leur énergie et la rendre plus propre.
L’écologie, c’est le grand défi du 21e siècle, on l’a encore vu avec la crise du Covid-19. Dans ce contexte, lorsqu’on parle de transition énergétique, on parle de transport, de gestion des déchets, de dessalement d’eau de mer, d’écomobilité, ce qui constitue en soi une véritable révolution. Y sommes-nous prêts en Nouvelle-Calédonie ?
- C. G. : Ce n’est même pas une question d’être prêts, c’est une nécessité. Nous devons aller vers ça. Nous voulons mener une refondation de notre modèle économique, et elle se base sur l’exceptionnel et sur le développement durable. Et à ce titre, la Nouvelle-Calédonie doit être un joyau dans le Pacifique. Cela étant, est-ce que cela se fait en un ou deux ans ? Bien sûr que non, mais sur 5 ou 10 ans. Vous évoquez la désalinisation de l’eau de mer, nous allons lancer avec la présidente de la province Sud, Sonia Backès, l’Agence française de développement et l’ACE un projet pilote sur l’île des Pins. Dans le même temps, un très gros travail est réalisé avec la société Synergie pour mettre en place un plan d’écomobilité.
Vous êtes le président de l’Agence Calédonienne de l’Énergie qui est en charge de mettre en œuvre le STENC. Quelles missions lui avez-vous confiées ?
- C. G. : L’Agence doit réellement devenir l’organe de pilotage du STENC. Je lui ai demandé d’avoir un regard véritablement économique sur le développement des énergies renouvelables, en lien avec les Provinces, et se constituer comme un acteur majeur de ce développement à la fois sur la technologie et l’innovation. Il lui revient également d’être une force de proposition et d’accompagnement pour ce qui est de la maîtrise de l’énergie. Elle doit enfin être le guichet unique de l’énergie en Nouvelle-Calédonie pour que les acteurs s’y retrouvent et alléger les contraintes administratives.
Un programme de 18 mois, ACE 2.0, a été lancé. Il est ambitieux, car il vise tout autant à donner de la visibilité à l’agence et à en faire le partenaire privilégié des collectivités et du monde économique. Pourquoi avez-vous décidé ce repositionnement stratégique ?
- C. G. : La DIMENC (ndlr : Direction des mines et de l’énergie) a un rôle majeur de régulateur du système électrique, mais nous avions besoin d’un établissement plus flexible avec moins de contraintes administratives, avec une volonté d’un développement à la fois durable et économique. L’ACE soit devenir le bras armé du gouvernement pour le développement de la politique énergétique que nous voulons mettre en œuvre.
Il se passe donc beaucoup de choses en matière d’énergie. À ce titre, pensez-vous que la Nouvelle-Calédonie soit un modèle ?
- C. G. : Nous avons atteint le 100 % EnR sur la distribution publique, pas encore sur la totalité de la journée, mais sur quelques heures, ce qui constitue en soi une grande fierté. Mais oui, la Nouvelle-Calédonie est en train de devenir un modèle, alors que jusqu’à présent nous étions un peu un cancre en matière d’utilisation des énergies. D’avoir des projets qui se développent de manière massive fait que la Nouvelle-Calédonie est reconnue comme un des principaux endroits au monde de développement des énergies renouvelables. Et sans faire de la science-fiction, je pense que dans 10 ans, nous serons davantage encore un modèle et une référence en la matière.